Nous avons choisi de donner à découvrir un homme et une femme aujourd’hui, tels que leur vie très riche, entre ardeur et combats, les a façonnés. Nous avons filmé les projets et leur réalisation ; la recherche, le souci du détail, l’humour, la tension, la virtuosité, la persévérance, le plaisir des sens, l’excentricité, la musicalité, l’impatience, la sophistication, l’exigence, la concentration, le tourbillon… Des images d’archives viennent quelques instants mettre en perspective ce temps présent.

Nous avons souhaité approcher un état de disponibilité proche de celui du danseur. L’idée était de participer au travers de la caméra à l’insaisissable, de nous abandonner au fil des événements et recueillir des échantillons du vivant. Ainsi, dès les premières prises de vue - l’expérience intime de la danseuse et le regard sensible de la photographe - nous ont permis d’entrer dans notre intuition du mouvement. Il s’agissait d’en suivre la sensation, d’y participer et produire ainsi des images qui « dansent » à leur tour avec les situations.

Une posture singulière comme celle de Françoise et Dominique est source d’inspiration au sens large et suscite une disposition contemplative sur le temps et la vie. Afin d’ébranler avec bienveillance notre public, de le tenir doucement en suspension, de garder autant que possible la voie ouverte avec son émotion, nous avons choisi de le toucher pas des biais non rationnels. Aussi la danse est presque exclusivement à l’image. Cette discipline qui supporte mal les explications laisse se dissiper l’analyse et emmène doucement sur le terrain de la magie.

Ce film a pris environ cinq ans à se construire. Sa substance est profondément marquée par cette durée. Nous avons goûté, d’abord à notre insu puis au-delà de nos espérances, à un temps qui n’est ni celui de notre âge ni celui de notre époque. Un temps qui laisse à la matière le temps de mûrir. ``Le temps également change : il devient un élément de la transformation ; vous ne luttez plus contre lui, vous le laissez travailler pour vous. C’est le temps du mouvement même.`` (Dominique Dupuy) Par sa pulsation très particulière, cette expérience a beaucoup contribué à donner à PASSAGES une couleur poétique. Adviennent un climat et un rythme qui invitent à s’abandonner à un état méditatif.

Pour Françoise et Dominique, le mouvement, et donc la danse, n’existent que s’ils sont remis en question à chaque instant. Pas de statique et pas d’attachement à ce qui passe. Une sorte d’état qui se retrouverait traversé par du mouvement. Cette recherche est sous-jacente dans tous les commentaires et toutes les séquences. Avec les stagiaires comme les danseurs. Dans la tentative répétée, dans l’impossibilité à l’exprimer, dans la grâce fugace, la persévérance, la finesse. Cet état à la pointe de l’acte — cette disponibilité — est très physique mais aussi philosophique. ``C’est une pensée, mais c’est une pensée du corps.`` (Dominique Dupuy) Il est encore une fois celui du moment présent, un lieu dans lequel il est si difficile de se laisser être, sans projections ni réminiscences. Le présent, entre mémoire et oubli (voir colloque ``La mémoire et l’oubli``, organisé par Dominique Dupuy pour le Festival de Danse d’Arles en 1989).

Nous avons souhaité réaliser un double portrait, celui de Françoise et Dominique. Deux acteurs de la danse moderne en France, dont le nom est cité dans tous les livres d’histoire de la danse, et sur qui paradoxalement il n’existait aucun film. Outre la valeur inestimable de témoignage sur ce patrimoine, les questions abordées touchent à l’intemporel et à l’universel. La danse devient alors métaphore de la vie.